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Déclaration domiciliaire citoyenne : bientôt une obligation ?
Parution : mardi 4 juillet 2023
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La suppression de la taxe d’habitation et les méthodes actuelles de recensement de la population génèrent des difficultés d’évaluation de la démographie et du nombre d’habitants par commune. C’est dans ce contexte qu’une proposition de loi, passée relativement inaperçue et portée par Christine HERZOG, vise à mettre en place une obligation de déclaration domiciliaire citoyenne. Le but ? Permettre aux collectivités locales de mieux anticiper et gérer leurs futures politiques publiques locales.

4,6. C’est le nombre de fois que nous déménageons au cours de notre vie. Cela peut sembler peu, et pourtant, les Français sont mobiles : chaque année, ils sont près de 3 millions à changer de résidence principale [1]. Mais une fois les cartons déballés, les meubles montés et l’installation passée, rares sont ceux qui pensent à effectuer une déclaration de domicile à la mairie...

Bien que facultative, la démarche de déclaration domiciliaire auprès des services municipaux est pourtant essentielle pour les communes : elles peuvent ainsi connaître la composition de leur territoire et piloter au plus près des besoins leurs politiques publiques locales. Pour ce faire, les maires doivent a minima pouvoir accéder aux données sur le nombre d’habitants dans leur périmètre.

Déclaration domiciliaire citoyenne : combler un manque d’information

Enjeux de l’accès aux données démographiques pour les communes

Les données relatives à la population présentent un intérêt multiple pour les territoires communaux :

Outre la finalité d’intérêt général de pilotage des politiques publiques locales que nous avons déjà évoqué, l’instauration d’une obligation de déclaration domiciliaire présente de multiples intérêts :

Conséquence de la suppression taxe d’habitation

Depuis le 1er janvier 2023, la taxe d’habitation sur les résidences principales a été supprimée pour tous contribuables. Seules les résidences secondaires restent assujetties à la taxe d’habitation [2], ainsi que les logements vacants en zone tendue en vertu de l’article 232 du code général des impôts (CGI).

Actée dans la loi de finances pour 2020, la fin de cet impôt local a été un véritable coup dur économique pour les communes en ce qu’il constituait une source importante de revenus.
Mais pas seulement : la suppression de la taxe d’habitation a également généré une perte d’informations utiles pour les collectivités locales. En effet, à l’instar de l’INSEE et des Services statistiques ministériels (SSM), les communes s’appuyaient également sur ces données pour mieux planifier et gérer leurs projets d’investissements et l’accessibilité des services publics. Ce n’est désormais plus possible par cette voie.

Insuffisance de la collecte de données par le recensement

Le recensement de la population est l’autre outil de collecte de données pour les communes. Instaurée par la loi du 27 février 2002 [3], l’actuelle méthode de recensement repose sur un recueil d’information annuelle, concernant successivement toutes les communes au cours d’une période de cinq ans.

Le recensement se déroule selon des procédures approuvées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). L’INSEE est le seul organisme habilité à exploiter les questionnaires, de façon anonyme [4].
Plus précisément, la collecte est réalisée de la manière suivante :

Toutefois, malgré tout l’intérêt qu’il représente, le recensement est insuffisant pour atteindre les objectifs précédemment évoqués. Comme le souligne l’énoncé des motifs de la proposition de loi : « pour les communes de moins de 10 000 habitants, le recensement se fait par roulement tous les cinq ans. Pour les autres, il a lieu tous les ans sur un échantillon de 8 % des logements. Ainsi soit les données ne sont pas assez renouvelées, soit l’échantillon n’est pas assez large ».

Actuellement, le recensement repose donc sur des données peu fiables qui ne permet pas d’en faire un outil efficace pour combler le manque d’informations généré par la fin de la taxe d’habitation.
Face aux enjeux de la disponibilité de telles données, la sénatrice Christine HERZOG (Union centriste) a présenté, le 9 mai 2023, une proposition de loi visant à rendre obligatoire la déclaration domiciliaire citoyenne

Déclaration domiciliaire citoyenne : enjeux juridiques

Le contenu de la réforme

La proposition de loi comporte actuellement quatre articles, prévoyant notamment la modification de l’article 103 du Code civil. Rappelons que le texte caractérise actuellement le changement de domicile par la réunion :

  1. d’un élément matériel (changement effectif de l’habitation) ;
  2. d’un élément intentionnel (intention réelle de la part de l’intéressé de transférer son principal établissement).

La proposition de loi abandonne cette définition et pose le principe d’obligation domiciliaire citoyenne. Plusieurs modifications sont envisagées à ce titre :

Un alignement France-Europe ?

Cette proposition de loi intervient alors que la déclaration domiciliaire n’est pas un dispositif nouveau en France et encore moins en Europe.

En France, la déclaration domiciliaire est un dispositif qui existe, mais qui reste facultatif [5]]. Le caractère contraignant n’étant pas légalement prévu, aucune sanction n’est possible.

Mais quelques exceptions existent :

Qu’en est-il en Europe ?

La déclaration domiciliaire est obligatoire chez bon nombre de nos voisins européens. L’Allemagne, la Belgique, la Suisse, l’Italie ou encore l’Espagne en ont fait une obligation qui s’accompagne de sanctions en cas de non-respect. En Belgique par exemple, « les nouveaux résidents doivent se déclarer sous huit jours, soit par courrier soit par voie électronique ». À défaut, ils risquent une amende allant de 130 à 1 500€ [7].

Dans ce contexte, la France ne peut plus faire figure d’exception en la matière. C’est pourquoi, il est désormais nécessaire de donner un caractère obligatoire à la déclaration domiciliaire citoyenne. C’est ce vers quoi tend la proposition de loi. Mais ce caractère obligatoire pose question, notamment en matière de droits et libertés publiques

Les droits fondamentaux en question

Si le caractère obligatoire de la déclaration domiciliaire tend à devenir un impératif de gouvernance des politiques publiques locales, il n’en demeure pas moins sans conséquence sur les droits fondamentaux et les libertés publiques.

Un tel dispositif ne porte pas atteinte au droit à la vie privée ou à la liberté d’aller et venir garanties par de nombreux textes nationaux et internationaux. Si l’on conçoit l’importance de la réforme, une juste conciliation des intérêts en présence et l’éventuelle justification de l’ingérence devra être explicitée.

La création d’un registre communal qui découle de l’instauration de cette obligation déclarative amène à s’interroger sur le respect des données personnelles tel que prévu par le RGPD et la loi informatique et libertés (LIL). Les enjeux en la matière ne sont évidemment pas oubliés dans la proposition de loi.

L’exposé des motifs confirme l’extrême vigilance qui est portée sur le sujet, puisqu’il fait expressément mention de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.
Plus spécifiquement, l’article 1er prévoir le principe selon lequel « le fichier de la population communale respecte les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ». Il incombera à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) d’accompagner les collectivités, de protéger les données et de contrôler leur utilisation.

La proposition de loi prévoit une entrée en vigueur de l’ensemble des mesures le 1er janvier 2025 [8]. La proposition, déposée au Sénat le 9 mai 2023 n’a, pour l’heure, pas passé le cap de la première lecture.

[2Les résidences secondaires en zones tendues étant soumises à la majoration de la taxe d’habitation prévue par l’article 1407 ter du code général des impôts, sur décision des communes

[4Ils ne peuvent donc donner lieu à aucun contrôle administratif ou fiscal. Les noms et adresse des habitants sont néanmoins nécessaires pour être sûr qu’ils ne sont pas comptés plusieurs fois, mais les informations ne sont pas enregistrées dans les bases de données.

[6Cette obligation résulte du droit local et plus précisément de trois ordonnances en date des 15,16 et 18 juin 1883